Ce qui se passe à l’île Mouk-Mouk reste à l’île Mouk-Mouk

Ce qui se passe à l’île Mouk-Mouk reste à l’île Mouk-Mouk

ven, 09/08/2019 - 07:24
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Île mythique du bout du monde, située près de Saint-Bin-loin et Saint-Profond-des-Creux, l’île Mouk-Mouk fait partie du folklore québécois depuis des décennies, mais les légendes sont basées sur un endroit réel, où bien des secrets y sont enterrés à jamais.

Crédit texte et photos: L.Éclat/Le Citoyen. Jean-François Vachon

 

Très peu d’information sur l’île Mouk-Mouk existe sur Internet. Un article de Geneviève Joncas publié en 2008 dans le magazine Québec français révèle des détails historiques intéressants sur l’origine de l’île, mais ne traite pas des légendes qui l’entoure. 

Aujourd’hui de moins en moins de gens se souviennent des fêtes organisées par les frères Michel, Jean et Normand Perron durant les années de gloire de l’île, des histoires qui s’y sont déroulées ainsi que des vedettes et des politiciens qui y sont passés. 

Bien que beaucoup d’Abitibiens savent que l’île Mouk-Mouk est bien réelle et qu’elle se trouve sur le lac Duparquet dans la MRC d’Abitibi-Ouest, pour le reste du Québec, il s’agit soit d’une légende, soit d’une simple expression qui désigne un endroit très, très loin ou qui n’existe pas. 

Dans l’imaginaire québécois 

Dans son article, Geneviève Joncas fait référence à des animateurs de radio ou de télé qui utilisent encore aujourd’hui l’expression aller aux îles Mouk-Mouk pour décrire un endroit perdu, éloigné, où il n’y a rien d’intéressant, coupé du monde. On s’imagine un endroit exotique dans les Caraïbes ou près de Madagascar. 

Or, le mystère qui entoure l’île Mouk-Mouk s’explique assez facilement si l’on se fie à la règle qui régissait les visites: toute personne qui revenait de son séjour relatait son aventure, mais sans jamais en exposer les détails. Ce qui se passait sur l’île Mouk-Mouk y restait. 

Pour attirer des clients 

 

À l’origine, les propriétaires de l’empire forestier Normick Perron, soit les frères Jean, Michel et Normand Perron, utilisaient l’île Mouk-Mouk, que Michel avait acquise en mai 1957 pour la somme de 50 $, pour y amener des clients éventuels. 

«On recevait les acheteurs de bois à l’île, a expliqué René Quesnel, ancien vendeur pour Normick Perron. Beaucoup de rumeurs ont circulé sur ce qui se passait à l’île, mais personnellement, je ne peux rien confirmer. C’était un genre de resort, où l’on invitait nos clients. On allait à la pêche ou à la chasse avec eux et après, on leur faisait visiter nos usines en espérant leur vendre du bois.» 

Un privilège accordé à très peu d’employés 

Comptable aujourd’hui à la retraite, Marcel Bouchard a travaillé pour Normick Perron pendant plus de 20 ans. Il gérait notamment les dépenses associées aux visiteurs qui se rendaient à l’île Mouk-Mouk. Il y est allé lui-même quatre ou cinq fois, mais n’est jamais resté pour une nuit complète et n’a jamais connu les prétendues soirées mythiques de débauche. 

D’ailleurs, des centaines d’employés que comptait Normick Perron, très peu d’entre eux ont eu la chance de mettre les pieds sur l’île. «J’y suis allé pour la première fois autour de 1983, alors que je travaillais là depuis 1962. En comptabilité, on avait passé quelques journées là-bas, mais on revenait toujours le soir», a raconté M. Bouchard. 

Les années de gloire 

La période de gloire de l’île Mouk-Mouk s’étend des années 1970 jusqu’à la vente de Normick Perron en 1989. 

Bien qu’officiellement, l’île servait à accueillir les clients et les acheteurs de l’entreprise, les Perron aimaient recevoir des visiteurs de renom. Ils étaient alors accueillis dans le luxe par l’épouse de Jean Perron, Roseline. 

«La majorité des artistes qui venaient en région, soit des comédiens ou des chanteurs comme Jean-Pierre Masson, Janine Sutto ou Michèle Richard, ont séjourné à l’île Mouk-Mouk, a raconté Marcel Bouchard. C’est pour ça qu’à Montréal, l’île Mouk-Mouk est entrée dans l’imaginaire parce que les artistes y allaient, disaient qu’ils y étaient allés, mais ne racontaient pas ce qui s’y était passé.» 

La bague de la Coupe Stanley 

Les frères Jean et Michel Perron avaient aussi de très bons contacts avec la direction des Canadiens de Montréal. Plusieurs joueurs de la Ligue nationale de hockey ont d’ailleurs visité l’île Mouk-Mouk, qu’on pense à Bobby Hull, Serge Savard ou les frères Bordeleau. 

Une légende tenace veut qu’un joueur des Canadiens ait perdu sa bague de la Coupe Stanley sur l’île, mais ni Marcel Bouchard ni René Quesnel n’avaient entendu cette histoire auparavant. 

Les albums de photos perdus 

Sur l’île Mouk-Mouk se trouvaient de nombreux albums de photos des soirées qui s’y étaient déroulées et des nombreux hommes d’affaires, politiciens et vedettes qui y avaient séjourné. Il était toutefois strictement défendu de les sortir de l’île. 

«Il y a quelques années, j’ai organisé des retrouvailles entre employés pour les 25 ans de la fermeture de Normick Perron et j’ai demandé aux Perron qu’ils nous laissent voir les albums, mais ils n’ont jamais voulu me les prêter. Aujourd’hui, c’est impossible de savoir si ces albums-là existent encore ou s’ils ont été brûlés», a relaté M. Bouchard. 

Un tout inclus de luxe 

Plusieurs bâtiments avaient été construits sur l’île. «Il y avait un grand chalet principal où se trouvaient le salon et la salle à manger, a précisé Marcel Bouchard. Ce chalet-là devait compter une douzaine de chambres.» 

Outre le chalet principal, il y avait des immeubles secondaires comme un chalet nuptial, un bain/sauna ainsi qu’un bar à vin et à cigares. «Il devait y avoir une douzaine de bâtisses en tout», a souligné M. Bouchard. 

Pour s’y rendre, les visiteurs y allaient en avion, en bateau ou en hélicoptère. Une équipe de service, incluant un chef personnel, attendait les visiteurs sur l’île. Des orchestres complets étaient aussi invités pour jouer de la musique pour les invités. Une statue représentant un joueur de trombone regarde d’ailleurs le large sur une des rives de l’île. Le monument serait un hommage aux nombreux artistes qui sont venus visiter et jouer de la musique sur l’île. 

«Comme un Club Med» 

«Quand tu étais invité là, c’était comme un Club Med, a lancé Marcel Bouchard. Dès que tu débarquais de l’avion ou de l’hélicoptère, tu étais reçu comme un roi. Tout était inclus. Les fumeurs, par exemple, n’étaient même pas autorisés à fumer leurs propres cigarettes: des cigares de qualité les attendaient sur place. Toutes les dépenses passaient par la petite caisse et c’est moi qui gérait celle-ci. Je peux vous dire que ce n’était pas des petits steaks à 5 $ que les Perron servaient à leurs invités!» 

Les péchés effacés 

Dans ses mémoires, Michel Perron raconte qu’à un certain moment de l’histoire de l’île Mouk-Mouk, le chalet était toujours occupé, soit par des clients, des invités ou des groupes communautaires de la région. 

«Mais il y a un groupe que je n’oublierai jamais, peut-on lire dans ses mémoires. Il s’agit du Conseil québécois des évêques qui, vers la fin des années 1970, y a tenu un colloque. Quand le curé de La Sarre me demanda de lui prêter l’île pour ce groupe, avant d’accepter, je lui ai imposé une condition. Je lui ai dit que ma réponse serait affirmative si les évêques promettaient, pendant leur séjour là-bas, de purifier l’île de tous les péchés qui y avaient été commis au fil des ans! Surtout ceux liés à la consommation abusive de boissons alcoolisées!» 

«J’en veux pas de ton maudit chalet!» 

Michel Perron relate aussi dans sa biographie comment il a fait l’acquisition, en mai 1957, de l’île 39, qui allait devenir l’île Mouk-Mouk. 

Un soir qu’il buvait une bière à l’Hôtel Paquette avec son ami Genest St-Pierre, ce dernier lui proposa de lui vendre une île qu’il venait d’acheter, mais dont il ne voulait pas. «Je n’ai pas besoin de chalet, avait répondu Michel Perron à son ami. J’en ai déjà un au lac Perron.» 

Genest St-Pierre voulait lui vendre l’île et le chalet pour la somme de 500 $. Au fil de la soirée et des bières qui défilaient devant eux une après l’autre, le prix de l’île a baissé jusqu’à ce que M. St-Pierre lui offre pour 100 $. «Non! J’en veux pas de ton maudit chalet», avait répondu M. Perron. 

À l’approche de la fermeture du bar, Genest St-Pierre avait lancé une ultime offre: 50 $ plus le loyer pour l’année déjà payé [une valeur de 15 $]. «À ce prix-là, je me disais que même si je n’avais pas vu l’endroit, je ne pouvais pas tellement me faire avoir, peut-on lire dans les mémoires de Michel Perron. Alors, on a signé un papier tous les deux, le waiter agissant comme témoin!» 

Une fois sur place, Michel Perron est rapidement tombé en amour avec l’endroit. Le reste fait partie de l’histoire. Et de la légende. 

L’île à vendre 

Lorsque Normick Perron a été vendue au Groupe Noranda, en 1989, le nouvel acquéreur ne voyait pas d’avantages pécuniaires à garder l’île Mouk-Mouk. Les immeubles commençaient à avoir du vécu et demandaient trop d’investissements pour être réutilisables. 

Quelques années plus tard, un certain M. Proulx [nous n’avons pas retrouvé le prénom] avait racheté l’île dans le but d’en faire un attrait touristique. Or, les coûts de son projet se sont révélés beaucoup trop élevés et celui-ci n’a jamais abouti. 

Aujourd’hui, l’île Mouk-Mouk est encore à vendre. Avis aux intéressés, la société immobilière Private Islands Inc. affiche l’île pour la modique somme de 2 M $ US.