En 1975, l’agriculteur de l’Abitibi est à la fois mineur, bûcheron ou autre chose

En 1975, l’agriculteur de l’Abitibi est à la fois mineur, bûcheron ou autre chose

dim, 17/02/2019 - 09:32
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Un éleveur de bœuf de Duparquet possède plus de 200 animaux mais il a du se faire policier pour réussir à faire vivre sa famille; un éleveur de mouton de Ste-Germaine-Boulé qui a 250 animaux est monté dans la forêt pour bûcher. Il devra vendre la moitié de son troupeau à l’automne. Entre-temps, ses deux jeunes fils gardent les bêtes au pâturage.

Par contre, à Normétal où la mine a cessé ses opérations à la fin de juin, des mineurs sont retournés cultiver la terre à La Sarre et à Dupuis après 10 ans, 20 ans, passés dans le «trou» à des cinq  mille pieds sous terre. Il leur faudra se recycler et leur production ne sera peut-être pas rentable avant deux ou trois ans.

Dans son bureau de Rouyn, le directeur régional de l’Union des Producteurs Agricoles, Jean-Luc Pinard, fait le portrait de l’agriculture de l’Abitibi., des problèmes qu’il rencontre. «Trouvez-moi, dit-il, dix producteurs de bovins qui ne font que ça en Abitibi et je ne sais pas ce que je vous donne».

Il y a environ 700 producteurs de bœufs.

«L’agriculture, poursuit-il, même au début de la colonisation, n’a jamais pu faire vivre une famille pour différentes raisons. Il a fallu que le père de famille trouve un revenu additionnel pour boucler son budget : il est allé le chercher loin de la terre, dans les forêts, dans les mines. Sa situation est toujours la même».

La conversation avec Jean-Luc Pinard se fait à bâtons rompus. À toutes les deux secondes, on lui demande de descendre à la réunion avec les représentants du Ministère de l’Agriculture. Ils ont des décisions urgentes à prendre pour régler des problèmes sérieux.

La production de lait est en perte de vitesse en Abitibi-Est: 45 p. cent des agriculteurs n’ont pas encore touché les subsides du gouvernement avec plus de trois mois de retard; il faut implanter les trois agro-centres au plus vite cette année, etc.

Pendant ce temps, toutes les familles de fermiers, du plus petit au plus grand, s’affairent dans les champs. Les épis d’avoine et d’orge sont dorés et plient sous la pesanteur  du grain. C’est le plus bel été que l’Abitibi, comme le reste de la province, connait depuis des années.

Il existe 1404 agriculteurs en Abitibi et au Témiscamingue, reconnus par le Ministère de l’Agriculture.

Selon les dernières données du Ministère, 48 p. cent de ces agriculteurs complétaient alors leur revenu en travaillant à l’extérieur. Ce qui représente une diminution par rapport à 1961 alors que 62 p. cent des fermiers de l’Abitibi avaient recours au travail hors ferme.

Par contre, ceux qui travaillent à l’extérieur le font pour des périodes plus longues. En 1971, 31 p. cent consacraient entre 224 et 365 jours contre 24 p. cent en 1961; 20 p. cent consacrent  de 157 à 223 jours; 10 p. cent de 97 à 156 jours.

Selon le directeur régional de l’UPA, la situation est sensiblement la même en 1975 et le nombre est beaucoup trop élevé.

«Comment voulez-vous, questionne Jean-Luc Pinard, qu’un gars qui a passé huit heures sous terre ait envie de faire «le train» en revenant».

Il est convaincu que si le fermier pouvait bien gagner sa vie sur la terre, il y resterait». Marcel Cliche, un producteur de lait industriel qui ne consacre son temps  qu’au travail de sa ferme partage cet avis.

«Car, disent-ils, il est faux de prétendre qu’il n’est pas possible de faire de l’agriculture rentable en Abitibi. Cet été, nous avons le plus beau foin de la province».

M. Cliche croit toutefois qu’il faut une agriculture appropriée. Par exemple : il est impossible de faire pousser du blé d’inde, mais l’avoine et l’orge, oui, à profusion.

Dans cette région, les meilleurs milieux sont codifiés par le Ministère de l’Agriculture. Le milieu A+ et A se trouve en majeure partie dans la région de Montréal. En Abitibi, 95 p. cent des terres sont C, D et E.

Le problème le plus important, estime-t-il, est que personne et particulièrement les fonctionnaires du Ministère n’a jamais cru à l’agriculture en Abitibi.

Le grand problème, expliquent M. Pinard et M. Cliche, est d’être reconnu et compris par toute la province. La planification se fait par des fonctionnaires de Québec. «Que nous y croyons nous, les cultivateurs, c’est évident, mais l’UPA est tout de même moins impliquée au niveau de l’orientation que le Ministère».

Pourtant, on a déjà fait de l’agriculture en Abitibi. Dans les années ’20, neuf ans après l’ouverture du Nord-Ouest à la colonisation, 550,000 acres de la superficie de l’Abitibi-Témiscamingue étaient destinées presqu’exclusivement à la production laitière. Il existait alors sur les fermes une autosuffisance de 80 à 85 p. cent.

Des 11,000 producteurs agricoles dénombrés en 1951, on en retrouve 2000 en 1970. Ils sont aujourd’hui 1,404 reconnus par le Bill 64 et ils exploitent 250,000 acres de terre.

Comment, en 1975, la région de l’Abitibi-Témiscamingue pensait-t-elle garder sur les fermes les agriculteurs et s’assurer que ces fermes continuent d’être exploitées?

 L’agriculture de cette région est basée sur la production bovine (les viandes et le lait) et sur la production de fourrages (trèfle et mil) et les grains (avoine et orge). Ilo n’y a que quelques petits potagers pour des fins de consommation domestique.

Pour sauver l’agriculture en Abitibi, il faut avant tout mettre des subsides à la disposition des agriculteurs. Ceux-ci étant très dispersés à l’intérieur de la région, il est impensable d’implanter ici et là des services gratuits de relance de l’agriculture.

Des agronomes financés pas l’ARDA seront mis sur pied cette année. Abattoirs, meuneries, encans, magasins d’utilité professionnelle, séchage de grain, entreposage, autant de services qui seront groupés dans les agro-centres, dont les trois premiers seront installés Amos, La Sarre et Ville-Marie. L’utilisation de ces services ne signifiera pas nécessairement une réduction du coût pour les agriculteurs.

«Ce qui est important, dit M. Pinard, c’est de donner des services».

Par exemple, en Abitibi, il n’existe aucun abattoir approuvé Québec; il y en a un à Lorrainville au Témiscamingue. En conséquence, le producteur de bovins de l’Abitibi doit faire abattre ses animaux à Montréal.

Autre solution et non la moindre, selon le directeur régional de l’UPA, la consolidation et le zonage de toutes les  productions.

Les deux grandes productions demeurent le lait et la viande. «Compte tenu des objectifs visés qui sont de passer de 150 millions à 225 millions de livres de lait, le Ministère de l’Agriculture veut récupérer cent mille acres de terre en augmentant le nombre de vaches et la productivité de ces vaches. De ce fait, les deux cent cinquante mille acres de terre passeraient à trois cent cinquante mille acres». La production laitière est à la base du zonage. En plus de maintenir les bassins laitiers, le Ministère compte les consolider. La tendance irait à consolider plus au Témiscamingue qu’ailleurs mais le contraire s’annonce en ce sens qu’il faut intensifier davantage en Abitibi-est et moins en Abitibi-ouest et au Témiscamingue, compte tenu de la disponibilité des terres défrichées.

Quant à la production de viande, elle est  d’autant plus solide qu’il existe une production laitière la côtoyant. Le pourcentage de producteurs de viande sera naturellement plus haut en périphérie que dans les grands centres agricoles. La culture industrielle (colza, mil, céréales) complétera ces deux productions.

Pour ce qui est de la relève, elle pose de sérieux problèmes. Par exemple, à Senneterre, il n’ya que trois producteurs. Qui va les remplacer quand ils ne seront plus là? Qui va maintenir la production dans cette zone? À Guyenne, il existe cinq producteurs de lait dans la paroisse. On prévoit qu’ils n’auront pas de relève.

La population agricole en Abitibi-Témiscamingue a diminué de 56 p. cent entre 1961 et 1971. Son importance par rapport à la population totale est passée de 21,9 p. cent à 9,9 p. cent au cours de la même période; au profit de la population urbaine et aussi de la population rurale non-agricole.

Ce problème de la relève est d’ailleurs commun à toute l’agriculture du Québec. on observe une tendance vers un vieillissement progressif des agriculteurs.

Bien que loin d’être optimistes, les agronomes du bureau régional de l’Agriculture croient à un intéressement accru des jeunes pour l’agriculture depuis les années 1970.

Ps : en 2018 on comptait 564 fermes en Abitibi-Témiscamingue.

Source : Archives nationales du Québec